Myosotis Mes potes
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| Sujet: Retour vers le futur : l'Arc 1996 Mer 17 Sep - 12:41 | |
| Pour ceux qui ne l'ont jamais lu, ou l'ont oublié, voici un magnifique article écrit sur Olivier. Il est signé Homéric et il a été publié dans le journal Libération, la veille du Prix de l'Arc de Triomphe 1996. 18 ans plus tard, il est toujours d'actualité. " Parce que c'est l'Arc, fait-il remarquer, on sacralise cette course, alors qu'il faut l'aborder comme les autres, et surtout ne pas se tendre, car alors votre cheval le ressent et s'inquiète".
Peslier vise le triomphe à l'Arc.
A 23 ans, le jockey star peut atteindre la consécration dimanche à Longchamp.
Le prix de l'Arc de triomphe, considéré comme le véritable championnat du monde des pur-sang, se disputera dimanche après-midi à Longchamp. Seize spécialistes des courses plates s'élanceront sur cet hippodrome sélectif pour un galop de 2 400 m, distance qui demande vitesse et fond. Epreuve intergénération, l'Arc oppose les meilleurs poulains et pouliches de trois ans à leurs aînés. Doté de 7 millions de francs, il établit la hiérarchie annuelle de façon incontestable puisqu'on y retrouve les vedettes des classiques printanières, tels le Derby d'Epsom, l'Irish Derby ou le Jockey-Club, et les champions de la saison passée. Auteur de cinq victoires en six sorties, Hélissio, pur-sang français portant casaque espagnole, partira favori face à la coalition venue des îles britanniques, forte de neuf éléments. Il sera aidé par la Cravache d'or virtuelle, le jeune Olivier Peslier. Autre course dans la course, celle opposant les vétérans du peloton, Freddy Head et Pat Eddery, corecordmen de victoires dans l'Arc avec quatre succès.
Dimanche, Hélissio, joli poulain bai de trois ans, 5 victoires et près de 2,5 millions de gains, sera le favori du prix de l'Arc de triomphe. Hélissio est un veinard, car il sera associé à la nouvelle coqueluche des turfistes, Olivier Peslier, 550 victoires. Ce jeune homme de 23 ans arrive à point nommé, car depuis la retraite il y a neuf ans d'Yves Saint-Martin, les courses manquaient d'une vedette. Avec Peslier, les casaques reprennent de l'éclat, les handicaps ne sont plus tristounets, les flambeurs retrouvent le sourire. Il s'est véritablement révélé l'an dernier, échouant d'un rien dans la course à la Cravache d'or après avoir comblé un handicap de trente victoires sur le champion en titre, Thierry Jarnet. Cette année, malgré sept jours d'arrêt maladie pour un majeur cassé, il est assuré du titre. A chaque réunion hippique, il remporte sa course, quand il n'en gagne pas deux, trois ou quatre. Sous ses cuisses, un âne, une brêle, un rat... toutes sortes de tocards, se découvrent un appétit de crack! Les entraîneurs se disputent les talents de ce nouveau Saint-Martin. «Tout comme lui en son temps, explique Patrice Laporte, pronostiqueur vedette de Paris Turf, il suffit qu'il se mette sur un cheval pour que celui-ci fournisse une performance au-dessus de sa valeur.» Les entraîneurs anglais, qui disposent pourtant des meilleures cravaches, dont l'Italien Frankie Dettori, auteur dimanche dernier à Ascot d'un historique coup de sept (vainqueur des sept courses de la réunion), le veulent aussi.
Rien ne destinait Olivier Peslier à cette carrière. Il n'est pas du sérail, et, l'air un peu gêné, il avoue: «En fait, jamais personne ne m'a appris à monter à cheval.» Il est l'aîné de trois enfants, et dans la famille il n'y a ni oncle ni cousin qui ait été jockey ou joueur. Son père est marbrier, sa mère tient le magasin à cinquante mètres du cimetière de Cossé-le-Vivien (Mayenne). Un ange à queue de cheval, un brin saboté, a dû se poser au bord de sa fenêtre. Le poney qui lui a tout appris. «J'aimais la nature et les animaux», dit-il. A 9 ans, il offre ses services dans un poney-ranch contre quelques balades. A 10, il découvre les courses de poneys: «Elles se déroulaient d'avril à octobre, et chaque dimanche je gagnais une épreuve ou deux, que ce soit en plat, en trot ou en obstacles.» C'est dans ces courses de pays à la bonne franquette qu'il découvre Kenza, double poney caractériel qu'il fallait conduire en main aux élastiques: «Une fois, dans le dernier tournant, il est allé tout droit et nous avons atterri dans un bar où j'ai pu commander un Orangina sans glace. Sinon, il m'a tout enseigné. En obstacles, il corrige. J'ai gagné dix-sept fois avec lui.» C'est à ce moment-là qu'un jockey d'Auteuil a la bonne idée de revenir au pays. Le hasard le conduit sur la route des Peslier. Il leur révèle l'existence d'une école d'apprentis jockeys. Olivier Peslier l'a échappé belle; il ne tombera pas dans l'oubli d'un centre équestre au fin fond de la Mayenne. Sans larmes ni regrets, il quitte ses parents à treize ans et demi pour les pur-sang de Chantilly. Quatre ans plus tard, il est sacré meilleur apprenti de France.
Pour devenir une valeur sûre, il change son style. «La mode était aux étrivières hypercourtes, moi je les ai rallongées en adoptant une monte plus américaine, l'étrier chaussé à l'extrémité du pied. Ainsi, j'étais plus près du cheval, en contact. Je sentais mieux comment il allait, respirait. Dans les bousculades, je le soutenais plus efficacement.» Ensuite, il multiplie les voyages d'études à l'étranger: trois hivers de suite en Californie où il découvre la mesure du train régulier et le travail des pur-sang à la chaîne, puis le Japon, six mois riches d'enseignements: «ça m'a endurci physiquement, mais surtout moralement. J'étais seul, ne parlais pas japonais. Dans ces conditions, il était très difficile de communiquer avec les professionnels.» L'entraîneur français numéro 1, André Fabre, dit d'Olivier Peslier: «Pour son modèle (1, 65 m, 52,5 kg), il a une force physique extraordinaire. Son appétit de victoires, sa joie de vivre le sont tout autant.» Les monuments funéraires de son enfance n'auraient-ils pas provoqué cette gourmandise? Ceux qui mettent des anges à la réussite ne manqueront pas de souligner le parallèle avec le père de cet autre cocher des dieux, Yves Saint-Martin, qui était gardien de prison. Le légendaire Saint-Martin (15 Cravaches d'or et 3 300 victoires) souligne son excellente position en selle: «Il devance le centre de gravité de sa monture, donc il l'allège. Il est à l'aise, dans sa tête et son corps, donc ses chevaux le sont aussi. Il voit et sent ce qu'il se passe à ses côtés, sait prendre des décisions rapides, instinctives, qui anticipent sur les événements.»
La mort d'un cheval. Et puis, il y a cette secrète communion avec l'animal qui ne s'apprend dans aucun manuel. «Je parle beaucoup à mes chevaux, témoigne Olivier Peslier. Ils écoutent. Ils ont besoin de nous entendre. Kenza, le poney difficile de mon enfance, ne se menait qu'à la voix. Pour moi, les chevaux sont intelligents. En tout cas, ils sont malins, et il faut être plus malin qu'eux, les bluffer. En un dixième de seconde il faut pouvoir les percer. La moindre hésitation, la plus petite erreur, et c'est l'échec. C'est pour ça que j'aime la compétition. Même avec le plus médiocre, il faut tout essayer, y croire jusqu'au bout. Un jour, il se sentira moins nul, moins seul, et vous récompensera. Il y a tant d'aléas dans une épreuve, tant de paramètres, que si vous n'y croyez pas, vous pouvez faire perdre la course de sa vie à un besogneux.» D'ailleurs, la dernière fois qu'il a pleuré, c'était pour l'un de ces coursiers qu'il aimait plus particulièrement pour avoir fait un tas de kilomètres sur ses reins: «Il s'est écroulé dans la descente de Longchamp, victime d'une rupture d'anévrisme. Je lui ai fermé les yeux, et les miens se sont remplis de larmes.» A ceux qui lui reprochent son côté énergique, il répond: «Les chevaux qui gagnent ont plus de chance de finir leurs jours à procréer», sous-entendant que si la boucherie ou les joies du haras se jouent sur quelques coups de cravache, il les administre volontiers. Revers de la médaille: les turfistes qui voudraient le voir gagner toutes les courses. «Il y a une poignée d'allumés qui m'insultent. Ils m'ont déjà menacé de me casser les jambes. D'autres m'ont agressé à la sortie des vestiaires. J'ai parfois du mal à me contrôler. Se faire traiter de fils de p... est particulièrement pénible, surtout quand vous avez failli chuter, que vous avez la botte arrachée, le pied en sang, et que les propriétaires vous font la tête. J'ai toujours eu un mot gentil pour les turfistes, c'est eux qui nous font vivre, mais à cause de cette poignée d'allumés qui réagissent selon leur ticket, je vais être obligé d'adopter un visage clos. On dira alors que j'ai la grosse tête.»
Le jeune homme ne passe pas pour être un fanfaron. Pourtant, il se dit prêt à prendre la tête de l'Arc avec Hélissio si aucun de ses adversaires n'ose mener le peloton. Il ne manque pas d'aplomb, car depuis 1920, création du Derby de Longchamp, personne ne se souvient d'un cheval ayant gagné l'épreuve en menant de bout en bout. «Parce que c'est l'Arc, fait-il remarquer, on sacralise cette course, alors qu'il faut l'aborder comme les autres, et surtout ne pas se tendre, car alors votre cheval le ressent et s'inquiète. Hélissio est un dur, un costaud qui aime aller dans son action. Si on le reprend, il se braque. Il déteste se trouver dans le milieu du peloton. En fait, il est un peu claustrophobe. Il éprouve un énorme besoin de galoper, loin devant les autres.» En fait, tout comme son pilote.
HOMERIC, 5 octobre 1996 | |
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